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Les parcs m’intéressent plus que les bâtiments. Les parcs sont imprévisibles; ils évitent la politique des auteurs qui entravent l’architecture. L’auteur d’un parc n’est jamais plus puissant que la nature qui a toujours son mot à dire à travers les ans et les saisons. Les parcs viellissent un peu comme les êtres vivants. Un bâtiment est souvent plus beau le jour de son achèvement alors que un parc flambant neuf a ses meilleures années à venir…comme Ronald Reagan a dit à propos des États-Unis—un propos que l’on ne peut pas considérer rétrospectivement sans une ironie amère. Je ne serais pas surpris si la plupart des meilleurs souvenirs des citoyens se passent dans les parcs. Ils semblent quelquefois les endroits les plus joyeux de nos villes—et peut-être les derniers. Les parcs encouragent une ampleur de sentiment que l’on ne retrouve que rarement dans les rues. Dans le parc un coureur peut pousser son corps au maximum lorsque un pique-niqueur passe la journée en regardant les fourmis volant les miettes de pain. Dans le parc, tout le monde est riche.
Les parcs sont un défi pour Paris, la ville la plus dense de l’Europe. Intra-muros, presque toute la ville est utilisée, et il ne reste que des petits lotissements vides. Il est difficile d’imaginer la densité de la ville d’antan, avant le dix-neuvième siècle. Il n’y avait pas beaucoup de parcs, pas de “town commons” de l’Angleterre ou de la Nouvelle Angleterre. Avant l’arrivée des chemins de fer, la plupart des Parisiens ne pouvaient pas échapper les rues de leur ville. Après les grands parcs du Baron Haussmann, la nature prenait sa place dans la ville, et l’aventure continue à nos jours. Quoique certains des quartiers les plus denses ou pauvres manquent encore de verdure, la ville de Paris continue à construire les nouveaux parcs, comme le parc Martin Luther King, déjà bien utilisé les dimanches, à Clichy-Batignolles.
Les parcs de Paris représentent un éventail d’époques et de sensibilités, un véritable musée vivant du paysage. Le jardin français ne domine pas, même si l’un des aspects les plus bizarres de son esprit, l’arbre rectiligne, est répandu (je comprends que ce genre d’émondage convient aux Tuileries, mais pourquoi massacrer ainsi les pauvres arbres d’un lieu aussi morne que Porte Maillot, lieu des embouteillages quotidiens?).
Par rapport aux parcs de Londres, ou les parcs de Frederick Law Olmstead au nouveau monde, les parcs parisiens sont petits, plutôt des lieux de promenade que des forêts sauvages. Même le Bois de Boulogne, qui ressemble à un vrai bois sur le papier est réparti entre les plus petits parcs, parmi eux le paradis terrestre du parc de Bagatelle, et les divers concessions souvent inaccessibles. On ne peut pas y échapper la ville comme à Hampstead Heath à Londres. On n’oublie pas les rues, et on est rarement seul.
La petitesse de ces parcs montre la densité de Paris. Quoique le Bois de Boulogne soit énorme (846 hectares), il est assez périphérique pour ceux qui n’ont pas la chance d’être ses riverains. Les plus grands des parcs intra-muros — le parc des Buttes-Chaumont (25 ha), le Jardin du Luxembourg (22.5 ha), le Parc Montsouris (16 ha) et Le Parc Monceau (8.4 ha) — sont assez petits par rapport à Central Park (341 ha), Hyde Park/Kensington Gardens (253 ha pour les deux combinés), ou Regent’s Park (166 ha). Ces comparaisons sont plus que frivoles. Un parc de centaines d’hectares est forcément diffèrent sur les plans poétiques et pratiques (et à nulle part ailleurs est la poésie si pratique que dans un parc).
Ces parcs sont quelquefois célèbres, quelquefois bien cachés:
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Le Parc des Buttes-Chaumont (1867, 25 ha)
La tentation de critiquer le Baron Haussmann est souvent irrésistible, mais ses parcs étaient, comme ses égouts, un vrai cadeau à la ville. C’est un peu ironique que Haussmann, prêt à rénover une ville en partie afin de réduire la menace de révolution, a donné ce quartier populaire du dix-neuvième arrondissement le plus beau de ses aménagements. Au dix-neuvième siècle les jardins anglais étaient en vogue à Paris et les trois grands parcs du Second Empire (les Buttes-Chaumont, le Parc Monceau et le Parc Montsouris) montrent la variété de ce style. Si Le Parc Monceau est un lieu de promenade (ou de jogging) avec ses bancs verts le long des gros chemins de gravier, la présence des Buttes-Chaumont est surtout visuelle, c’est presque un paysage animé. Quoique ce parc est aussi factice que le Central Park de Manhattan ou n’import quel autre jardin anglais, le naturalisme de Buttes-Chaumont est moins fidèle. Le Parc des Buttes-Chaumont n’est pas une imitation de la nature mais une expérience spatiale presque avant-garde. Le paysage est quelquefois étendu, quelquefois comprimé afin de créer, dans l’ensemble, un parc qui semble plus grande qu’il ne l’est.
Quoique certains quartiers limitrophes des Buttes-Chaumont soient parmi les plus chics du dix-neuvième, ses alentours sont véritablement hétérogènes. C’est peut-être à cause d’une topographie accidentée qui est rare à Paris que l’atmosphère villageoise de Mouzaïa sur la colline soit si différente des quartiers encore populaires mais de plus en plus branché vers le canal St. Martin.
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Le Parc André Citroën (1992, 13 ha)
Encore plus que le Jardin des Tuileries ou le Jardin du Luxembourg c’est le Parc André Citroën qui est inimaginable ailleurs. Bâti sur l’ancien site de l’usine Citroën, terrain industriel depuis le dix-huitième siècle, ce parc est l’un des plus grands depuis le Second Empire. C’est si ultra-moderne, si géométrique, si français qu’à première vue il semble un peu froid, comme L’année dernière à Marienbad en 3D. En réalité ses espaces sont si fascinantes que son style devient une considération secondaire. Une grande pelouse centrale est juxtaposée à une série de petits jardins énigmatiques qui incarnent une espèce de montage végétal. Ces jardins se déroulent comme une séquence de jump cuts, mais ils sont liés par un réseau de passerelles et passages diminutifs qui enrichissent la troisième dimension de ce terrain plat. Le corps marchant fait les connexions mais l’esprit doit faire son travail aussi. C’est une aventure cérébrale et corporelle où l’on peut aussi jouer au foot.
Le quinzième arrondissement est le plus grand et un des plus varié de Paris. Les alentours du parc André Citroën manque des grands monuments mais il vaut la peine d’une balade.
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Le Parc de la Villette (1982-98, 55 ha)
Le Parc André Citroën et le Parc de la Villette sont tous les deux parcs de notre époque, bâtis sur les anciens terrains industriels, mais ils ne partagent pas un style. Comme le Panthéon est le modèle de l’architecture romaine, le déconstructivisme s’incarne dans le Parc de la Villette. L’architecture déconstructiviste était cachée par les nuages de théorie, de justification et de post-justification. À la recherche d’une alternative au post-modernisme, certains architectes empruntaient les idées, quelquefois mal interprétées, de certains philosophes français pour donner naissance aux forêts de colonnes inclinées. C’est un peu simpliste, mais l’essentiel était que l’architecture doit incarner l’angoisse de l’incertitude contemporaine. L’exposition “Deconstructivist Architecture” de 1988 au Museum of Modern Art à New York n’était pas aussi historique que le célèbre exposition de 1932 qui a défini l’architecture qui dominait les États-Unis par la suite, mais les architectes dits déconstructivistes, parmi eux Bernard Tschumi, l’architecte du Parc de la Villette, restent influents.
Les surprises véritables sont rare dans nos villes. Les comparaisons qu’on fait entre les lieux créent les idées préconçues qui lissent nos alentours. Petit à petit le monde devient familier; c’est bien pratique, mais on est rarement bouleversé comme j’étais bouleversé par le Parc de la Villette. Tous ce que j’ai lu sur ce parc m’a préparé pour une expérience cérébrale, un peu froide, mais j’ai trouvé simplement un lieu qui m’a rendu heureux. Je l’ai aimé, tout court. Cinq étoiles. Si le déconstructivisme est une tentative à exprimer l’angoisse de notre époque, la Villette trouve la joie étrange de cette démarche. Dès le moment où je traversai le Canal Saint-Denis mon humeur un peu lugubre s’est détendue, je ne sais pas précisément pourquoi ou comment. Oui, c’était une belle journée de printemps, et bien sûr l’idée de l’achèvement sans concession d’un dessin aussi avant-garde m’a donné du bien. C’est vrai que le parc, au-delà de son paysage, est plein d’attractions comme la Cité de la Musique (de Christian de Portzamparc, un architecte sous-estimé en dehors de la France) mais ces explications n’expliquent pas ma réaction instinctive. Je ne songe pas à un monde plein de la Villettes — ou de Buttes-Chaumonts — mais à ce moment-la il était si parfait que j’hésite à y revenir.
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La Promenade Plantée (1988-95, 6.5 ha)
Avant la High Line de New York, la Promenade Plantée de Paris. Ce parc linéaire de 4.5 km sur l’ancien viaduc du chemin de fer à l’est de la Bastille est en réalité très diffèrent que son descendant de Manhattan. Le High Line (et je n’en ai visité que la première étape, peu après son ouverture) évoque plus soigneusement ses origines ferroviaires et la verdure sauvage de l’ancienne ligne tandis que la Promenade Plantée est plutôt un beau parc qui se trouve dans l’air. Mais ce n’est pas toujours aérien. C’est le parcours de la promenade — sur le viaduc, dans un tunnel, au niveau des rues et dans une tranchée — qui exprime le drame des chemins de fer.
Son rapport à son contexte est diffèrent aussi. Les alentours de la Promenade Plantée sont pour la plupart assez charmants mais banaux. Ces quartiers, malgré quelques immeubles récents, ne sont pas définis par la présence du parc. Il y a des galeries d’art (le Viaduc des Arts) dans les arches du viaduc mais les quartiers riverains semblent beaucoup moins chics que le Chelsea ultra-branché de la High Line, un aimant assez puissant pour attirer le musée Whitney. La Promenade Plantée et la High Line sont deux espèces de réussite, la version du nouveau monde est un phénomène tandis que sa soeur aînée parisienne est une présence quotidienne dans son quartier.
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La Petite Ceinture
La Promenade Plantée se termine à l’est, à Bel-Air, à son ancien noeud avec la célèbre et fugace Petite Ceinture. Huit jours après son auto-élévation au rang d’empereur, Napoleon III a décrété la construction d’un chemin de fer circulaire pour relier les gares parisiennes. Après l’annexion du terrain entre le mur des Fermiers-Généraux et l’enceinte de Thiers en 1860, le chemin la Petite Ceinture a encouragé le développement de la ville. Long de 32km, avec vingt-neuf gares, la ligne était active jusqu’à 1934 — quoique le RER C actuel emprunt une partie de son parcours dans le seizième et le dix-septième arrondissement.
Ce qui reste de la Petite Ceinture n’est ni fragmentée ni unifiée. La ligne existe sous des formes différentes; quelques tronçons sont devenus petits promenades plantées mais la plupart est un terrain fascinant et sauvage vague en pleine ville. Deux tronçons, l’un à Bel-Air et l’autre étendant au sud du Jardin de Ranelagh sont légèrement aménagés pour expliquer au public les merveilles de cet écosystème spontané. Heureusement Paris a résisté pour la plupart la tentation d’aménager ce terrain. Je soupçonne que sa présence remplit un vide que les parcs ne puissent pas remplir.
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Le Jardin Anne Frank (2007, 0.22 ha)
L’incarnation paysagiste d’une époque néo-libérale, le pocket park est si répandu que l’on se demande si les jours des grands parcs sont finis. Comme le célèbre Zuccotti Park de New York, les pocket parks ne sont pas forcément des lieux publiques, et les parcs de ce genre seraient possiblement plus honnêtes derrière des portails verrouillés comme les squares de Londres ou le Gramercy Park de New York. À Paris la différence entre les lieux publiques et privés est normalement facile à deviner, donc les pocket parks parisiens ne sont que les petits parcs souvent coincés dans les quartiers les plus denses. On décrit les parcs les oasis ou les poumons de la ville et c’est exactement le cas du Parc Anne Frank. Ce n’est que 2,200 m2, son style typique de beaucoup des parcs du Mairie de Paris, charmant mais demandant peu d’entretien. C’est sa situation dans la ville, cachée devant les rues les plus accablantes du troisième arrondissement, l’un des quartiers où Paris est tout à coup un peu trop parisien, qui est si merveilleux.
On pourrait peut-être songer une ville où chacun trouve le parc qu’il cherche.